Le regard au loin, une cigarette à la bouche, une femme brune est allongée sur un lit, accoudée sur un oreiller moelleux. Les draps bleus à fleurs blanches, assortis aux rideaux d'un baldaquin encadrant le tableau plongent le spectateur dans le confort d'une chambre. La tapisserie ébauchée derrière le modèle ainsi que les couleurs pastel de sa tenue d'intérieur renforcent l'impression de douceur qui s'en dégage. Seuls deux livres aux couleurs vives et chaudes contrastent avec cet ensemble. Accrochant notre regard, ils intriguent : quelle est leur fonction ici ?

Cette femme forte aux traits appuyés, aux doigts épais, fumant et lisant à ses heures perdues… s'agirait-il d'une artiste ? D'une intellectuelle ? D'une femme moderne ? Le tableau semble en tout cas prendre à rebours le motif traditionnel de l'odalisque, ces esclaves du harem oriental, souvent représentées nues sur un lit afin d'insister sur leur seul rôle charnel.  Ici au contraire, la sensuelle nudité est remplacée par le confort d'un pyjama, et la chambre devient synonyme de détente et de repos, suggérés par la lecture et la rêverie perceptible dans le regard du personnage. 

Cette vision moderne du modèle féminin est particulièrement signifiante sous le pinceau de Suzanne Valadon. Issue d'un milieu modeste, elle entra dans le monde de l’art en posant pour les peintres parisiens dont elle apprit les techniques avant de devenir à son tour une artiste de renom. Femme indépendante au fort caractère, Valadon semble avoir mis un peu d'elle-même dans cette anti-odalisque.

La modernité ne se ressent pas seulement dans le sujet de la toile, mais également dans son traitement : Valadon peint au début du XXème siècle, s'inspirant de Gauguin, Cézanne ou des Nabis, en privilégiant de grands aplats de couleurs cloisonnés par un contour noir, par opposition au travail des impressionnistes sur la lumière diffuse, rendue par petites touches. Leur influence se fait pourtant sentir également, dans le traitement des couleurs ou de la tapisserie en arrière-plan.