Dans cette salle close, les pois ont envahi l’espace du sol au plafond. Ce sont des pois blancs, de tailles variées, sur un fond rouge uniforme et éclatant. Ces ronds blancs sont peints sans discontinuer sur le sol, sur le plafond mais aussi sur de grandes formes arrondies, posées ou suspendues dans la pièce. Elles semblent souples et gonflées comme des ballons de baudruche. Les murs sont les seules surfaces non recouvertes de pois puisqu’ils sont constitués de miroirs. Ceux-ci se reflètent entre eux à l’infini et amplifient la myriade des pois blancs sur le fond rouge.
Cette installation immersive a été créée en 1998 par l’artiste Yayoi Kusama, qui travaille à la frontière du pop art, de l’art psychédélique et de l’art optique. Cette plasticienne japonaise révolutionnaire a fait des pois sa signature. Depuis la fin des années 1950, ils ont envahi ses peintures, ses sculptures et ses installations. Ces dernières nous permettent d’entrer physiquement dans son univers obsessionnel et hypnotisant. Elle joue avec les contrastes de couleur, les lumières et les reflets pour perturber notre perception de l’espace et notre circulation. Hormis les pois, la notion d’infini est un fil conducteur essentiel de l’univers de Kusama. Les miroirs qui se reflètent démultiplient l’espace, colonisé sans fin par les pois.
L’obsession pour les pois de Yayoi Kusama est liée aux hallucinations dont elle est victime depuis l’âge de dix ans. En 1960, alors qu’elle travaille à New York aux côtés des artistes expressionnistes abstraits, conceptuels ou pop (Barnett Newman, Mark Rothko, Donald Judd, Andy Warhol...) elle s’interroge sur l’individualité des êtres et sur ses visions obsessionnelles. Elle déclare alors : « Ma vie est un pois perdu parmi des milliers d’autres pois ». Elle voit également dans ses pois une symbolique multiple et complémentaire : « la forme du soleil, qui signifie l’énergie masculine » et « la forme de la lune, qui symbolise le principe féminin de reproduction ».
Fatiguée mentalement par ses troubles hallucinatoires envahissants et angoissants, Yayoi Kusama vit depuis 1977 dans un hôpital psychiatrique de Tokyo. Depuis plus de quarante ans, elle y travaille et répète, inlassablement, les mêmes motifs minimaux. Son travail, véritable catharsis, lui permet de combattre le mal dont elle souffre.
