Dans un intérieur douillet, une jeune femme est assise près d’un berceau : pensive, elle observe son enfant. Sous le large dais de gaze, la petite fille est endormie. Leurs coudes relient les deux personnages dans un moment d’intimité. Dans cette composition simple et silencieuse, la jeune femme tire le voilage comme pour protéger le nourrisson des regards. Elle porte une veste à rayures bleu gris et un ruban noir qui contrastent avec le petit lit tout en transparence. Le temps semble suspendu. Double portrait ou scène de genre, Le Berceau est avant tout une toile sur le regard, l’un des thèmes favoris de Berthe Morisot.
En raison de son sexe et de son milieu social, l’artiste ne peut peindre n’importe qui, ni n’importe quoi. Ses amies et les femmes de sa famille deviennent ses modèles. Elle peint ce qu’elle connait de mieux : l’univers féminin bourgeois auquel elle appartient, peuplé de ses relations intimes. Cette œuvre ne fait pas exception : elle y représente sa sœur Edma, dans un moment privilégié avec sa fille Blanche, née au début de 1871. La façon dont Berthe Morisot peint cette enfant, à l’aide de blancs détrempés et de gris frottés, de petits points roses parsemés sur le bord du tissu, témoigne d’un pinceau extraordinairement libre.
Pendant longtemps, collectionneurs et historiens ont négligé la place de Berthe Morisot dans l’évolution de l’Impressionnisme : son certificat de décès portait par ailleurs la mention « sans profession ». Issue d’une famille bourgeoise et sensible aux arts, soutenue par ses parents, la jeune femme est initiée à la peinture à un moment où les femmes ne sont pas encore admises à l’Ecole des Beaux-arts.
Elève de Camille Corot, acceptée au Salon dès 1864, elle se lie au fil de sa carrière avec Fantin-Latour, la famille Manet et Edgar Degas. Ce dernier l’invitera à participer à la Société anonyme coopérative des artistes, peintres, sculpteurs et graveurs : seule femme à exposer dans les anciens ateliers de Nadar en 1874, ses œuvres y reçoivent les meilleurs critiques. Dès lors, elle renonce définitivement à la reconnaissance institutionnelle et n’exposera plus au Salon officiel.
